Inquiétante étrangeté.
Écosse Analogue.
Inquiétante étrangeté. C’est ce qualificatif qui s’impose lorsque je me remémore ces paysages désolés d’Écosse. Ces contrées verdoyantes et brumeuses, où au détour de l’éther se cache le Whisky qui réchauffe l’âme du voyageur. Ma démarche photographique n’a pas changé. Elle découle de l’émotion et de l’instinct. Au fil de ces pages, je tente de juxtaposer l’organique et le numérique; l’analogue avec le binaire. L’organique, c’est la prise de vue instinctive à l’aide de films négatifs et réversibles. Impossible de deviner le résultat à l’avance, sinon que de prévisualiser l’image à l’aide de son cœur. Les sels d’argent se confondent au brouillard ambiant et se cristallisent en couleurs impossibles à planifier.
La pellicule aura été physiquement présente à l’emplacement exact représenté dans l’image. Comme le photographe, elle a voyagé dans chaque lieu de représentation. La trace tangible de ce passage est physiquement conservée, tactile, alors que le fichier numérique demeurera, quoiqu’on en dise, qu’une émulation du passage de la lumière. Chaque pellicule a été savamment choisie selon le contexte du voyage. Le Fuji Velvia produit des images saturées qui lorsque sous-exposées deviennent violacées et granuleuses. Le Kodak Portra possède une douceur indiquée pour le visage humain, mais qui lorsqu’utilisé en nature transforme l’environnement en couleurs pastel. Le Fuji Astia possède un faible contraste dans lequel la végétation devient abstraite.
Ce parcours rassemble une sélection de clichés réalisés au fil des 1400 Km parcourus dans ces Highlands écossais. Depuis longtemps, l’image de ces châteaux hantait mon esprit. Il y a aussi la satisfaction d’être allé au bout du monde. Le tronçon de route le plus au nord de l’île de la Grande-Bretagne aura constitué l’un des instants les plus magiques de ce voyage. Au loin, le phare blanc des îles Orchades était visible entre le premier plan des falaises et les navires ravitailleurs en route vers le Danemark. Le Loch Eriboll se dressait dans le début de la pénombre noyée dans le silence du crépuscule. Seul le claquement de la dilatation thermique des garde-fous le long de la route était audible alors que, confronté à mes songes, tout ce que j’avais imaginé de l’Écosse se dressait devant mon objectif.
Le binaire, c’est le résultat d’une prise de vue numérique, dans laquelle la rareté de l’image fait place à l’abondance. L’image reste toutefois intangible, charcutée dans une succession de micro-images discrètes entre lesquelles les interstices de l’échantillonnage dévoilent leurs limites. Ces images dites binaires sont artificielles et reproductibles. Dans ces conditions, je tente de détourner les attributs trop polis de l’image pour la rendre imparfaite. Ces manipulations deviennent à leur tour une simulation du procédé analogique. Dans la prochaine série, les caractéristiques d’un certain nombre de films analogues ont été imitées. La juxtaposition du numérique et de l’analogique permet ici de constater les limites de chaque médium et d’apprécier leurs différences : pas exactement identiques, mais suffisamment émulés pour parfois brouiller les pistes.